Après plus de dix ans passés à enseigner le Français Langue Étrangère dans des contextes variés, j’ai décidé de revenir sur la formation initiale que j’avais reçue il y a maintenant près de 15 ans. Mon objectif est de faire le point sur toutes les choses que j’ai finalement apprises « sur le tas », dans la pratique, alors que j’aurais apprécié m’en emparer pendant mes études. En effet, je dois avouer que je ne me suis pas sentie spécialement bien préparée à l’exercice de ma profession à l’issue de ma formation. Je disposais certes de connaissances théoriques, mais j’avais (et j’ai encore parfois) le sentiment qu’elles se sont avérées peu utiles lorsqu’il a fallu passer à la pratique.
Or, le manque d’aspects pratiques est un reproche souvent fait aux formations académiques. Je me dois de préciser que j’ai suivi la mienne à distance, ce qui n’a sans doute rien arrangé à l’affaire. Mais ce que je voudrais faire ici, c’est justement aller au-delà de ce lieu commun pour me demander plus précisément quelles sont les compétences que j’aurais aimé mieux maîtriser et qui m’ont manqué pour me sentir mieux préparée. Qu’est-ce qui m’aurait permis de me sentir mieux outillée au moment de débuter dans l’enseignement ?
Il est probable que toi aussi, tu auras ressenti les manques de ta formation au moment de ton entrée dans la vie active. N’hésite pas à me dire si tu partages mon avis et à préciser quelles sont les compétences que tu aurais personnellement aimé maîtriser.
1. Concevoir mon cours et définir mon programme
Cela semble être la base du métier, car c’est la première étape avant de « faire » cours : se préparer. Pourtant, je ne me souviens pas avoir abordé la question pendant mes études. De quoi part-on concrètement pour établir un programme de cours ? Comment procède-t-on ? S’agit-il d’une sorte d’alchimie qui s’opère de manière plus ou moins mystérieuse avant d’entrer en classe ?
Bien sûr que non ! En effet, il m’aurait été utile de disposer de stratégies pour concevoir concrètement mon cours à partir d’objectifs définis. D’ailleurs, en y repensant, avons-nous seulement abordé la question de la définition des objectifs ? Je n’en suis pas si sûre… Incroyable quand on y pense !
La conséquence de ce manque, c’est qu’au début, comme beaucoup de collègues débutant·es (ou pas), je m’accrochais au manuel, et que c’était lui qui définissait mon programme.
2. Structurer mon heure de cours
De la même manière, nous n’avons pas davantage abordé le détail de la structure des heures de cours. Quelles sont les différentes étapes par lesquelles on devrait passer pour une heure de cours réussie ? Quels objectifs se fixer et comment les atteindre ?
A la place, j’ai été confrontée à un type d’exercice vraiment particulier : un texte m’était proposé et je devais réfléchir à son exploitation en classe, concevoir une heure de cours à partir de ce texte. Mais qui procède ainsi pour préparer son cours ? Cette démarche bien étrange obligeait à extraire des objectifs à partir d’un document, au lieu d’adapter son cours et son matériel à ses objectifs…
C’est avec la pratique que je suis parvenue à mieux choisir mes activités, à évaluer le temps à y consacrer et la manière de les enchaîner, à évaluer le niveau d’un texte (sans pour autant avoir vraiment appris à le justifier concrètement).
3. Utiliser le manuel à bon escient
Souvent, les cours de langues reposent sur un manuel. Au final, c’est le contenu du manuel qui constitue le programme. Cela raccourcit le temps de préparation, car on dispose de matériel en quantité et déjà didactisé. Cela explique peut-être qu’on ne juge pas nécessaire d’enseigner la conception de cours à partir d’un programme, ni la structure d’une heure de cours dans un cursus d’enseignement du Français Langue Étrangère… Mais alors, comment se servir de cet outil à bon escient ?
Je pense que tu seras d’accord avec moi pour dire qu’enchaîner les activités les unes après les autres n’est pas la manière la plus efficace (ni la plus amusante) de procéder… Il aurait donc été utile d’aborder l’utilisation de cet outil essentiel à de nombreuses classes pour en tirer le meilleur parti.
Malheureusement, les quelques manuels que nous avons vu en cours ont plutôt servi à illustrer les différentes approches didactiques qu’à apprendre comment nous en servir en classe. Et cela m’a d’ailleurs contrainte à suivre le manuel de manière assez stricte dans un premier temps… ce qui m’amenait à me demander pourquoi mes apprenant·es avaient finalement besoin de moi ! Un sentiment désagréable aurait pu m’être épargné si j’avais appris à mieux me servir de l’outil.
D’autres professeur·es contournent le problème en créant leur propre matériel (ce que je fais maintenant moi-même très souvent), mais cela me semble être (en partie) une autre stratégie de compensation car nous n’avons pas appris à exploiter au mieux cet outil.
4. Adapter mon approche didactique à mon public
Au cours de ma formation, j’ai étudié l’histoire de la didactique, les différents courants qui se sont succédé au cours du temps et les évolutions. Pourtant, nous ne nous sommes jamais penché·es sur les études qui démontreraient l’efficacité de telle ou telle approche didactique.
Finalement, j’ai le sentiment qu’on m’avait présenté la dernière approche à la mode, la perspective actionnelle, comme le fin du fin, sans que son efficacité soit vraiment démontrée. Il m’a fallu du temps pour remettre en cause le dogme et accepter que les méthodes plus « traditionnelles » puissent tout à fait convenir et même être efficaces avec certains publics, pour varier les plaisirs et gagner en souplesse. A mes yeux, c’est précisément cette adaptation à l’apprenant·e qui fait de l’enseignement un art et non une science.
5. Enseigner à des classes hétérogènes
Il se trouve que les classes de langues sont assez souvent de niveaux hétérogènes. Ce type de classe nécessite une grande adaptation et certains aménagements pour que l’enseignement profite à tou·tes. Au cours de ma carrière, il m’est arrivé de me retrouver face à des classes dont le niveau pouvait s’étendre de A1 à A2+, et parfois B1. Ce n’est pas simple à gérer, et encore moins si on n’y a pas été préparé…
Pourtant, même s’il s’agit d’un cas relativement fréquent, il n’a pas du tout été abordé dans ma formation. Nous n’avons pas parlé des stratégies qu’un professeur peut mettre en place pour gérer une telle classe.
La question du handicap n’a d’ailleurs pas non plus été soulevée. Comment pratiquer l’inclusion ? Je ne dis pas que tous les cours doivent être pensés pour intégrer tout forme de handicap, mais quelques activités (ou exemples d’adaptation d’activités) pourraient être bienvenues, afin de donner des pistes pour préparer un·e professeur·e qui peut se retrouver confronté·e à ces situations au cours sa carrière professionnelle.
6. Enseigner le vocabulaire
C’est une question lancinante des apprenant·es : « Comment apprendre le vocabulaire de manière efficace ? Où trouver des listes ? »
Lors de mon cursus universitaire, j’ai appris toutes sortes de choses sur le lexique et la manière de le classer, mais je n’ai pas souvenir d’exemples d’activités pour faciliter son apprentissage en cours, ni de trucs et astuces me permettant de faciliter la tâche de mes apprenant·es. Concrètement, on leur répond quoi ? On s’y prend comment pour apprendre et réviser les mots nouveaux ?
Je me suis donc formée aux techniques d’apprentissage en trouvant des idées dans les manuels et sur Internet…
7. Aider mes apprenant·es à améliorer leur prononciation
En phonétique, j’ai appris à classer les sons, et tout un tas de termes savants que je n’utilise jamais en cours. Je sais aussi tout de la morphologie buccale.
Mais comment aider un·e apprenant·e à surmonter ses difficultés pour produire un son ?
Cela, je l’ai aussi découvert dans des ouvrages spécialisés sur le sujet comportant quelques exemples pratiques ou en discutant avec des collègues spécialistes du sujet.
D’autres collègues ont tout bonnement renoncé à aider leurs apprenant·es sur ce terrain. Ce n’est pas de leur faute : on ne leur a pas appris comment s’y prendre, et quand on est démuni·e, on abandonne…
8. Évaluer et proposer un feedback (ou rétroaction) efficace
L’évaluation, vous dites ? Je dois dire que ces thèmes n’ont tout simplement pas été abordés lors de mon cursus… C’était comme si l’évaluation n’existait pas, alors qu’elle joue un grand rôle pour mesurer les progrès de l’apprentissage et peut également constituer un outil didactique. Les différents types d’évaluation, la manière dont on peut apporter des commentaires utiles aux apprenant·es, tout cela a été complètement passé sous silence.
Pourtant, tout cela permettrait aussi de préparer les examens (notamment universitaires) avec plus de professionnalisme, afin d’avoir des résultats plus justes.
9. Utiliser les TICE de manière ciblée
Ah, les TICE… C’est magique ! On peut les utiliser pour motiver ses apprenant·es. Mais concrètement, ce qu’elles apportent du point de vue didactique, et surtout comment en tirer le meilleur parti, de cela, il n’a pas été question. A l’issue du cours, je ne savais toujours pas quel outil concret me serait utile pour quel objectif.
Tout cela, j’aurais bien aimé l’apprendre pendant ma formation, et je crois bien que cela m’aurait été utile. Cela m’aurait fait gagner du temps et évité de tâtonner…
Mais il y a autre chose… Suite à ce tableau un peu noir de tout ce qui m’a manqué, on est en droit de me demander : « Mais alors, qu’as-tu appris au juste ? » Eh bien, j’ai aussi eu des cours dont je n’ai pas encore bien perçu à ce jour l’utilité pour ma vie professionnelle de simple prof de FLE. Je ne dis pas qu’ils n’étaient pas intéressants à titre personnel. Je me pose juste la question de leur application concrète à mon quotidien professionnel.
1. Analyser les interactions en classe
En effet, j’ai appris à analyser les interactions lors d’un cours selon un protocole long et fastidieux. Ce que cela pouvait m’apporter concrètement pour ma pratique a complètement été passé sous silence. Dans quel contexte et avec quel objectif utiliser cet outil ? Si j’avais continué dans la voie de la recherche, je vois bien comment cela aurait pu me servir. Mais en ce qui me concerne, j’aurais trouvé plus utiles des outils me permettant de réfléchir à ma propre pratique, de m’auto-évaluer et de m’améliorer.
2. L’art et la littérature
J’ai aussi eu l’occasion d’étoffer mes connaissances théoriques sur l’histoire de l’art et les mouvements littéraires, et j’ai apprécié ces rappels de mes cours de première. Mais comment utiliser ces œuvres dans mon cours, cela n’a pas été abordé. J’ai appris bien des termes savants pour analyser un texte. Mais ces termes complexes de métalangage ne me sont guère utiles face à ma classe.
3. Plurilinguisme et identité
J’ai finalement appris des choses intéressantes sur la manière dont parler plusieurs langues peut influer sur notre identité, mais tout cela est resté très théorique et la manière dont je pourrais l’utiliser en cours avec mes apprenant·es de langue étrangère reste à ce jour encore un mystère.
Bien sûr, nous pouvons être différent·es en fonction de la langue que nous parlons, changer d’attitude, de tonalité et de débit, d’expressions faciales… mais comment puis-je faire réfléchir mes apprenant·es à tout cela et que cela va-t-il leur apporter concrètement ? Là encore, c’est en faisant des recherches personnelles que j’ai trouvé des pistes de réponses à ces questions, pas dans mes cours.
Bref, tout cela m’amène à un point plus général. J’ai eu l’impression d’être formée et informée, certes, mais pas sur les points essentiels à l’art d’enseigner. Nous n’avons pas vraiment réfléchi à ce que des apprenant·es pouvaient déjà savoir, aux problèmes qu’ils et elles pouvaient rencontrer dans leur apprentissage, au chemin à suivre pour intégrer une connaissance nouvelle, à ce que nous attendions au juste des apprenant·es… Bref, à ce qui fait le métier de professeur·e, sur ce qui rend un·e professeur·e utile à l’apprentissage, en cette ère d’accès rapide à l’information.
Voilà le bilan que je dresse de ces deux années de formation. Parfois, les examens étaient très pratiques, et c’était surprenant pour moi qui n’avais pas trouvé dans les cours les clés qui m’aurait permis de mener à bien ces tâches (d’où l’importance de bien préparer l’examen en fonction du cours, ou le cours en fonction de l’examen…). Peut-être que je n’étais pas assez brillante. Mais je pense sincèrement que ces cours auraient pu, auraient dû être beaucoup plus pratiques si on suppose que leur but est de former de bons enseignant·es de FLE.
Actuellement, beaucoup de professeur·es démissionnent en France, et on accuse la formation de ne pas être à la hauteur des enjeux. C’est sans doute vrai, puisqu’ayant moi-même pourtant étudié précisément la didactique, ce qui n’est pas le cas des professeur·es français·es passant le CAPES ou l’agrégation, je note tout de même des manques terribles au niveau des applications pratiques.
Et toi, as-tu l’impression que ta formation t’a bien préparé à l’exercice de ton métier d’enseignant·e ? Que penses-tu qu’il faudrait faire pour y remédier ?