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Faut-il traduire en cours de langue étrangère ?

Ces partages m'aident beaucoup. Merci !

Tu t’es peut-être déjà posé cette question, fameuse parmi les profs de langue étrangère en général, et de FLE en particulier : faut-il traduire en cours ?

Certain·es affirment que non, surtout pas ! Ce sont de fervents défenseurs de cet héritage de la méthode directe, qui prône un bain linguistique. Il faut se plonger directement dans la langue cible pour l’apprendre…

Parler uniquement dans la langue cible : la méthode directe

Oui mais voilà : la méthode directe date… du XIXème siècle !

En fait, elle a été mise au point par les professeurs de langues vivantes pour se différencier de ceux de langues mortes, dont l’enseignement consistait à faire traduire des textes en cours (ce que ces derniers font toujours d’ailleurs, ou du moins était-ce le cas à la fin du XXème siècle, lorsque j’ai étudié le grec ancien au lycée).

Alors, comment une méthode datant du XIXème siècle peut-elle, aujourd’hui encore, avoir ses irréductibles ?

D’un côté, on peut se dire que le dicton « c’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures confitures » a certainement une part de vérité, et que ce n’est pas parce que l’idée est ancienne qu’elle est nécessairement mauvaise…

Et c’est vrai que j’ai un peu joué sur le côté provocateur, je l’avoue…

Il n’en demeure pas moins vrai que cette méthode, ce postulat, a déjà bien vécu.

Mais d’où partait-il au départ ? Est-ce que c’est vraiment uniquement la simple envie de se démarquer des profs de langues mortes qui est à l’origine de cette méthode ?

Pas tout à fait.

 

Le bain linguistique

On a sans doute pensé qu’une langue étrangère pouvait s’acquérir de la même manière qu’une langue maternelle. Après tout, les langues mortes sont très peu « parlées » (c’est bien ce qui fait d’elles des langues « mortes »), et le but d’apprendre une langue étrangère, c’est de parler pour communiquer.

On s’est donc dit qu’en exposant les apprenant·es un maximum à la langue cible, la langue étrangère à apprendre, ils et elles finiraient bien par l’apprendre.

Mais tu t’en doutes, il y a quelques problèmes avec cette assomption. D’abord, le nombre d’heures de cours par semaine est assez limité…

Et c’est vrai que les petits enfants apprennent leur langue maternelle en deux à trois ans (voire un peu plus)… mais ils y sont confrontés H24 ! En l’occurrence, dire que les enfants apprennent vite, c’est quand même un mythe, parce que je pense qu’après deux ans d’immersion totale (sans rapport aucun avec sa langue maternelle), et avec quelqu’un pour lui nommer tous les objets qu’il ou elle voit plusieurs fois par jour, n’importe quel adulte est largement capable de parler aussi bien qu’un enfant de deux ans… Mais bref, je m’égare un peu, alors revenons à notre sujet.

En réalité, nous n’apprenons pas une langue étrangère comme nous apprenons notre langue maternelle. Jamais. Même enfant. A partir du moment où on parle une langue, elle structure notre pensée et c’est à partir d’elle que nous en apprenons de nouvelles.

 

Nous n’apprenons pas les langues étrangères de la même manière que nous apprenons notre langue maternelle

Pour rendre plus clair ce que je voudrais te dire ici, je vais te raconter une anecdote.

C’est une famille française venue s’installer en Allemagne. Les enfants parlent français. Les parents aussi, mais la mère a appris l’allemand, et décide de parler allemand avec ses enfants pour le leur apprendre. C’est la méthode directe.

Son petit de garçon de huit ans lui dit en allemand : « Mama, ich habe kalt. ». Il traduit directement du français. En français on dit : « j’ai froid » et avoir, c’est haben en allemand. Déjà, tu vois bien qu’il part du français (à 8 ans) pour traduire en allemand. Il n’apprend pas directement de l’allemand, parce que si c’était le cas, il saurait que cette phrase n’existe pas en allemand. En allemand, pour dire « j’ai froid », on dit « mir ist kalt », ce qui, traduit mot à mot en français, donnerait quelque chose comme « c’est froid pour moi » avec le verbe être. Penser qu’on apprend « directement » une langue étrangère est un mythe, même à huit ans !

Mais la suite de cette histoire est encore plus intéressante… Sa mère le corrige, lui explique qu’en allemand la forme correcte est « mir ist kalt ». Et le lendemain, il arrive vers elle en s’écriant : « Mama, mir ist Hunger » ! Il veut dire qu’il a faim, et il a reproduit la structure qu’il a apprise la veille avec le verbe être, en remplaçant froid par le mot « faim » qu’il connaît déjà en allemand : « Hunger ». Après tout, c’est logique ! Si on traduit « j’ai froid » par « mir ist kalt », alors logiquement, on doit traduire « j’ai faim » par « mir ist Hunger ». Sauf que non, cela ne fonctionne pas. En allemand, on dit bien, exactement comme en français « ich habe Hunger » avec le verbe avoir.

Ces erreurs du petit garçon sont extrêmement intéressantes. En général, on essaie d’éviter les erreurs. Mais ses erreurs sont extrêmement intelligentes. Elles montrent qu’il est capable de faire des phrases qu’il n’a jamais entendues en allemand à partir de ce qu’il sait du français. C’est pour cela qu’il dit « ich habe kalt ». Et il est aussi capable de faire de la grammaire contrastive, c’est-à-dire qu’il a assimilé que la structure « j’ai » + adjectif/nom en français équivaut à « mir ist » + adjectif/nom en allemand. Il remplace avoir par être de manière logique et conséquente…

Sauf que cela ne fonctionne pas à tous les coups.

Ça, ce n’est pas de chance ! Mais tu vois bien que ce petit garçon réfléchit, que même si on ne fait pas de la grammaire explicite avec lui, il est capable de faire des parallèles entre les langues qu’il parle, et surtout, qu’il TRADUIT à partir de sa langue maternelle, le français !

Bon, ben du coup, tu vas me dire, la messe est dite : puisque les apprenant·es traduisent dans leur processus d’apprentissage, alors pourquoi t’interdire de le faire ?

Faire des parallèles avec la langue maternelle pour apprendre

D’autant que les approches didactiques plus modernes incitent à faire des parallèles avec les langues maternelles des apprenant·es. Elles suggèrent d’aider le petit garçon à verbaliser, à rendre consciente la manière dont il est arrivé à faire les phrases telles qu’il les a construites, afin de pouvoir réutiliser ces stratégies pour déterminer quand elles fonctionnent… et quand elles ne fonctionnent pas !

En fait, il s’agit de les inciter à traduire, justement, à expliquer comment on utilise tel ou tel concept dans leur langue, à quoi correspond telle ou telle construction grammaticale.

Cela permet non seulement de développer des stratégies d’apprentissage, mais aussi de les valoriser, et ça, c’est super important dans un groupe !

Cela permet de rendre ces processus spontanés chez le petit garçon conscients et de partir d’eux pour apprendre peut-être plus vite. Parce qu’en réfléchissant à la structure d’une langue de manière explicite, on apprend quand même plus vite qu’en essayant de l’assimiler par « bain linguistique ». Ce qui est en plus un espoir de toute façon irréalisable, avec les quelques heures de cours par semaine dont dispose un professeur de langue étrangère (à moins de faire cours dans le pays à des personnes venues sur place pour apprendre la langue ou pour s’installer).

Alors, faut-il traduire en cours ?

Trouver un équilibre

Le problème, c’est que plus tu parles dans la langue maternelle de tes apprenant·es, moins tu parles dans la langue cible. Et ça, c’est tout de même un problème !

En plus, il ne faudrait pas croire qu’il est impossible d’expliquer la grammaire tout en français : c’est parfaitement possible. Je me souviens d’un cours en particulier, dans lequel une apprenante, voyant que j’allais expliquer la formation du passé composé en français, avait pris peur et m’avait demandé de passer à l’allemand « pour la grammaire ». Je lui ai proposer d’attendre la fin des explications et de me poser ensuite, en allemand si elle le préférait, toutes les questions qu’elle voudrait. Je n’ai d’ailleurs jamais dit quelle langue j’allais moi-même utiliser pour lui répondre…

Et à la fin des explications, je suis bien sûr revenue vers elle pour m’assurer qu’elle avait bien compris. Et c’était le cas ! Je crois qu’elle était surprise…

Et puis, tu l’as vu dans mon exemple : le petit garçon n’a même pas eu besoin qu’on lui explique : il a construit tout seul les parallèles !

Bref, en fait, je ne te dis pas que tu dois faire ton cours dans la langue maternelle de tes apprenant·es ! Ce serait un comble, on retournerait à l’avant méthode directe, la traduction utilisée pour les langues mortes ! Mais je ne bannis pas la traduction, contrairement à certains autres professeurs qui prêche leur approche comme une religion à imposer à tous et toutes. Je pense que nous devons aussi avoir le choix, en tant que professeurs, et je te donne les éléments scientifiques qui te permettront de faire le tien.

En plus, il y a des cas dans lesquels le/la prof ne parle pas la langue maternelle de ses apprenant·es. Et comme tu le vois, ce n’est pas nécessairement un problème. On peut parfaitement se débrouiller pour expliquer et comprendre dans la langue cible. Et puis, si tu es dans ce cas, tu peux tout de même t’intéresser à leur langue. Ce sera l’occasion d’un échange fructueux dans les deux sens, et le fait de s’intéresser à son apprenant·e et à sa langue est très motivant aussi pour elle ou pour lui. Donc même dans ce cas, ton attitude vis-à-vis de la traduction peut varier : certains la refusent catégoriquement, d’autres l’acceptent lorsqu’elle vient des apprenant·es.

Je pense que tu as compris dans quel camp je me trouve. De base, je n’aime pas trop les ayatollahs à cheval sur leurs principes ;-).

Comment nous apprenons (vraiment)

Maintenant, peut-être aussi que tu te demandes pourquoi nous parlons encore de la méthode directe en cours de didactique, si celle-ci est périmée…

Depuis, il y a eu d’autres méthodes, et puis des approches, comme l’approche communicative et maintenant la perspective actionnelle prônée par le CECRL.

Malheureusement, il est difficile de prouver l’efficacité de telle ou telle méthode didactique. Le succès de l’apprentissage dépend de nombreux paramètres que nous ne pouvons pas contrôler en situation expérimentale : la personnalité du professeur, celle de l’apprenant·e, la dynamique de groupe, l’environnement, la motivation individuelle… et j’en passe ! Il est pratiquement impossible de déterminer si c’est la méthode didactique qui est efficace.

Mais bon, il y a eu, depuis 1870, quelques avancées en matière de théories de l’apprentissage…

Nous en apprenons chaque fois davantage sur la manière dont les informations sont stockées dans le cerveau, et sur la manière dont nous les connections entre elles. Actuellement, les sciences cognitives penchent vers ce qu’on appelle un modèle intégré du lexique : les différentes langues que nous apprenons sont enregistrées dans la même « zone mentale ». On avait pensé à un moment que la langue maternelle était stockée « à part », mais on revient sur ce modèle.

Or, nous savons que nous apprenons mieux si nous faisons des liaisons avec ce que nous savons déjà. Cela, c’est un principe assez admis en général, et c’est la raison pour laquelle nous cherchons à activer les connaissances que nos apprenant·es ont déjà d’un sujet avant d’approfondir pour en ajouter d’autres. Les nouvelles seront mieux enregistrées en se connectant à celles qui sont déjà-là.

Comme le lexique des différentes langues déjà apprises est dans une même zone, ces liaisons se feront plus facilement avec la langue maternelle, qui est déjà là, en particulier pour les débutant·es, qui n’ont pas de connaissances préalables dans la langue cible. Pour eux, les connaissances déjà-là, ce sont celles en langue maternelle. Elles sont dans la même zone mentale, il est donc plus facile d’établir des liens avec elles qu’avec des images par exemple (même si on est bien d’accord, l’ajout d’images sous forme d’option SUPPLÉMENTAIRE est un plus et permet d’améliorer encore l’apprentissage). Simplement, ce n’est pas la voie la plus simple, et donc pas la première empruntée par les connexions neuronales. L’apprentissage est soutenu par les images, mais il ne se fait pas « par » elles.

En général, on dit qu’il faut attendre le niveau B1 avant que des connexions puissent se faire à l’intérieur de la langue cible. A ce niveau, on commence à avoir assez de vocabulaire pour pouvoir expliquer les mots dans la langue cible. Mais avant, il faut se rendre à l’évidence, cela se terminera en traduction dans la tête de tes apprenant·es.

Si tu as encore des doutes, essaie de te mettre en position d’apprenant·e. Tu dois apprendre le vocabulaire. Pour ce faire, la stratégie la plus efficace, c’est celle des flashcards : des fiches avec d’un côté le mot à apprendre et de l’autre l’explication. Il faut retrouver le mot à partir de l’explication. Que vas-tu choisir comme explication ?

  • Tu peux choisir une explication dans la langue cible. Mais si tu es débutant, cela ne sera pas possible.
  • Tu peux aussi choisir de mettre une image. Tu devras retrouver le mot correspondant à l’image.
  • Ou alors, tu peux traduire.

Que vas-tu faire ?

Je pense que tu as compris que la traduction est l’option la plus simple, à moins que tu saches très bien dessiner. Sinon, tu vas devoir rechercher des images sur Internet et les mettre sur tes fiches. Cela va te prendre pas mal de temps. Et en regardant l’image, que vas-tu penser ? Es-tu certain·e que tu ne vas pas de toute façon penser le « mot » dans ta langue ? Personnellement, je crois que si…

Bien sûr, si tu es motivé·e, c’est un plus non négligeable de rajouter une image sur ta carte, « en plus » de la traduction.

Mais alors tout cela pour ça ? Tous ces efforts pour bannir la traduction, alors qu’en fait, de toute façon, tes apprenant·es y auront recours, et qu’en plus, ils et elles ont raison : cela va les aider à apprendre ?

Parce que si tu as un peu d’expérience, tu sais qu’ils et elles ne lâchent pas facilement l’affaire. Une traduction validée par le/la prof, cela vaut pour eux de l’or ! Pourquoi le leur refuser et les exposer au risque d’apprendre mal, de choisir une traduction qui n’est pas la plus pertinente ?

Évidemment, on est aussi bien d’accord que les langues ne sont pas des équivalences 1 :1, sinon, il n’y aurait pas autant de choix offerts dans le dictionnaire de traduction 😉 (Et mes versions grecques auraient été beaucoup plus simples, je peux te le dire !) Mais les subtilités viendront dans un deuxième temps.

Voilà donc pourquoi je dis : OUI à la traduction !

A condition qu’elle vienne le moins possible de toi, mais ne l’interdis surtout pas à tes apprenant·es et n’hésite pas à valider leurs propositions si tu es en mesure de le faire, ou à leur demander comment ils et elles traduiraient tel ou tel mot. Encourage-les même à construire des parallèles et à les verbaliser, comme le petit garçon de mon exemple !

Et surtout, il faut bien garder à l’esprit que, même si tu ne parles QUE la langue que tu enseignes dans ton cours, cela ne suffira toujours pas pour que tes apprenant·es soient vraiment en mesure de la parler couramment. Pour cela, il faudra qu’ils et elles fassent l’effort de se confronter à elle plus souvent qu’une à deux fois par semaine, et pas seulement parlée par toi !

N’oublie pas que nous vivons une époque très pratique pour cela, car on peut désormais écouter des podcasts en version originale, mais aussi des livres audio, regarder des films et des séries… Bref, si nous le désirons, il est possible de se confronter à une langue étrangère en dehors du cours.

Maintenant, tu me diras peut-être que c’est une question de motivation, et que ce n’est pas évident de motiver ses apprenant·es à faire cela… Eh bien, c’est le sujet d’un autre article !

En attendant, bon cours et surtout, ne t’interdis rien !

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