As-tu remarqué que de plus en plus de profs de langue se mettent à proposer du coaching linguistique ? Il semblerait que cela leur permette de relever leurs tarifs… Intrigant, n’est-ce pas ? La valeur perçue par les clients n’est donc pas la même pour une heure de cours que pour une heure de coaching… dans le sens du coaching ! Et j’avoue qu’à titre personnel, je me sens très déstabilisée par cette constatation. Que peuvent bien proposer de plus les coaches qui justifie cette différence ? J’ai beau être sceptique, je suis aussi curieuse ! Après tout, la réponse pourrait permettre d’augmenter la valeur perçue d’une heure de cours… J’ai donc décidé de mener l’enquête pour découvrir quelle différence pourrait bien se cacher derrière la distinction entre coaching et enseignement.
Qu’apporte le coaching ?
Les défenseurs du coaching linguistique pensent que celui-ci mettrait un accent particulier sur l’autonomie de l’apprenant ; une forme de personnalisation qui, selon eux, justifierait ces tarifs plus élevés. Cela m’amène donc à réfléchir sur la valeur que nous, enseignants, apportons à nos élèves. Est-il possible que, parfois, nous sous-estimions l’impact de l’autonomie et de l’approche personnalisée dans l’apprentissage des langues ?
A titre personnel, je suis convaincue que la personnalisation et l’encouragement de l’autonomie devraient être intégrés à toute démarche éducative. Enseigner, c’est bien plus que transmettre des connaissances : c’est éveiller chez l’élève un rapport vivant et personnel au savoir.
En effet, si je souhaite acquérir de nouvelles connaissances, je peux tout simplement lire un livre ou rechercher une étude. Dans le domaine des langues, je suis capable de rechercher moi-même des conjugaisons et de les apprendre par cœur. Recracher des connaissances sous forme de cours magistral sans même s’adapter à son public, ce n’est certainement pas ce que fait un bon prof.
Est-ce que cela ne fait pas partie des cours ?
Cependant, il est vrai que c’est précisément ce qui est reproché à de nombreux professeurs : non seulement une incapacité de s’adapter à leur public, mais même une tendance à ne pas y accorder d’importance. La réussite (ou l’échec) de l’élève relèverait de sa responsabilité, et non de celle du professeur. Marva Collins, une enseignante de Chicago qui s’occupait d’élèves en situation de décrochage scolaire, s’en indignait : si l’enfant n’a pas appris, on tient l’enfant pour responsable, au lieu de demander des comptes à son enseignant.
Trop de professeurs partent du principe que les élèves qui ne suivent pas sont responsables de leurs échecs, plutôt que de remettre en cause leurs méthodes et leurs pratiques.
Marva Collins, parfois qualifiée de prof miraculeuse, soulignait l’effort que demande l’exercice du métier d’enseignant. C’est pourquoi elle rejetait ce qualificatif de « miraculeuse », qui masquait à son avis cet effort colossal fourni à la fois par elle pour enseigner, et aussi par ses élèves pour apprendre. Garder ses élèves concentrés sur leur tâche réclamait une attention de tous les instants. Elle faisait aussi attention à chaque mot prononcé, à chaque détail pouvant impacter leur confiance en eux. Serait-il possible que des professeurs reculent devant l’ampleur de la tâche à accomplir ?
Les bons profs intègrent bien un accompagnement à leurs cours
Le fait que la société reconnaisse en Marva Collins une enseignante exemplaire (et non une coach) illustre bien le fait que le travail de l’enseignant inclut une part d’accompagnement. Et même une part importante : Marva Collins passait en effet beaucoup de temps à développer la motivation chez ses élèves décrocheurs. Finalement, le travail à fournir pour apprendre doit venir d’eux. Le sien consistait à leur faire voir l’intérêt d’accomplir ce travail en insistant sur l’utilité du savoir enseigné, et à les convaincre du fait qu’ils en étaient capables, humiliés qu’ils étaient par leurs échecs scolaires. Or, sans confiance en soi et prise de risque, c’est-à-dire acceptation de l’erreur, pas de progrès. Tout cela, c’est bien une forme de coaching, et c’est le cœur même de l’enseignement de Marva Collins.
Malheureusement, il faut bien avouer que c’est une étape négligée par de nombreux professeurs. Ceux-ci préfèrent plonger au plus vite dans le « concret », pensant ainsi démontrer plus rapidement la valeur qu’ils apportent. Et finalement, c’est le contraire qui se passe : les cours sont dévalorisés par rapport au coaching. Bref, les profs devraient prendre le temps de revenir aux fondamentaux et consacrer du temps en début de cours à convaincre leurs élèves de l’utilité du savoir transmis et de leurs capacités à acquérir ce savoir.
Et ensuite, il faut prendre le temps de fixer ensemble des objectifs clairs. Ce n’est pas réservé au coaching, c’est une étape essentielle du succès d’un cours et sur laquelle j’insiste souvent. Tu peux d’ailleurs aller voir ma vidéo sur YouTube sur le sujet de la motivation, dans laquelle j’explique en détail différentes méthodes pour se fixer des objectifs clairs et précis, comme la méthode SMART, que tu connais peut-être déjà, mais aussi la méthode WOOP (ou DROP en français) de Gabriele Oettingen ou encore celle de Locke et Latham. C’est un sujet qui devrait être central pour les profs, et pourtant, trop peu s’en préoccupent.
Pourquoi les professeur·es n’ont-ils pas conscience du problème ?
Il est possible que ce manque d’intérêt soit dû à une forme de manque de confiance en eux : ils ne se croient peut-être pas capables de faire naître la motivation chez leurs apprenant·es. Et c’est certain qu’avec cet état d’esprit, la partie est déjà perdue. Ce qui est tragique, car c’est bel et bien là qu’est leur rôle principal : s’ils échouent à motiver, leur cours est un échec. Comment cela se fait-il qu’ils ne le perçoivent pas ?
Enfin, il y a encore le problème des stratégies. Certains élèves travaillent dur, mais ils n’ont tout simplement pas les bonnes stratégies pour apprendre, alors tous leurs efforts sont vains et c’est particulièrement démotivant. Il est important de transmettre non seulement les savoirs, mais également des stratégies pour mieux les assimiler et les retenir. Parfois, les élèves n’ont aucune habitude d’apprentissage. Je me souviens encore aujourd’hui d’une de mes élèves qui a mis 3 heures de cours à comprendre qu’il fallait apprendre les conjugaisons par cœur. Il aurait fallu le lui expliquer, mais souvent, on tient pour évidentes des choses qui ne le sont pas pour tous. Bref, parler de la manière dont on apprend le vocabulaire, cela peut être plus utile que de marcher au bâton en faisant des tests réguliers… Et expliquer comment s’y prendre pour passer du vocabulaire à un texte, en évitant la traduction, c’est aussi utile à tous ces apprenant·es qui n’ont pas forcément l’habitude d’apprendre des langues étrangères.
Mais est-ce seulement la faute des profs ? Ce qui est vrai, c’est qu’on accorde peu d’importance aux compétences didactiques des professeurs. En France, les concours pour devenir professeur en collège ou en lycée testent les connaissances acquises dans la matière à enseigner, pas en didactique. Et puis, pour être honnête, ce ne sont pas non plus mes cours sur l’histoire des courants didactiques qui m’ont été particulièrement utiles pour enseigner à mes élèves…
Bref, les profs n’ont peut-être pas été assez formés à cela. On a mis l’accent sur la maîtrise de la matière, et cela a peut-être donné l’illusion à certain·es que leur rôle se limitait à celui d’expert·e. Seuls quelques professeurs exceptionnels (et souvent reconnus comme tels) ont compris que la différence se jouait au niveau de la motivation. La part d’accompagnement proposée par le coaching linguistique fait bel et bien partie de l’enseignement, mais cet état de fait est malheureusement ignoré de trop nombreux professeur·es, ce qui contribue à la perte de valeur des cours aux yeux des apprenant·es.
Quelles solutions ?
Quelles pourraient être les solutions ? J’ai bien peur que plus de formation théorique ne résolve pas le problème : il s’agit plus d’un état d’esprit. Il s’agit d’assumer sa part de responsabilité, de se prendre en main et de chercher à être vraiment efficace dans son enseignement. Les bons élèves s’en sortiront toujours. Un bon prof, c’est celui ou celle qui est capable d’emmener avec elle celles et ceux qui rencontrent le plus de difficulté. Marva Collins, qui s’occupait donc d’élèves en situation de décrochage scolaire, en est un excellent exemple. Elle déplorait d’ailleurs le fait que les professeurs fassent davantage confiance à des experts qui n’avaient eux-mêmes jamais enseigné qu’à leurs collègues et à leurs observations de terrain. La solution, ce n’est pas plus de théorie : c’est un changement d’état d’esprit qui doit sans doute, paradoxalement, être amené via un coaching. Bref, ce sont les profs qui auraient besoin d’être coachés pour revenir aux fondamentaux de leur métier !
Mais peut-être que la prise de conscience du fait que les coaches sont plus valorisés les persuadera de remettre au centre de l’enseignement ce qui en fait la valeur : la part d’accompagnement qu’il inclut nécessairement. Si ce n’est pas le cas, il est à craindre que les vrais professeurs finissent par devoir changer de nom…